Auteur : ~Pascal Dufrenoy~

Poésies animées

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18)

Le pays de Jactance

Je vis en pays de Jactance

Aux confins des monts d’Absurdie

Mes frères croient que j’ai la chance

De rester sourd aux vilenies.

Mon métier a tissé la toile

De termes rares et précieux

Mon métier a lissé la trame

De mots barbares et curieux.

Je marche au milieu des cygnes

Mille robes blanches ponctuées de gris

J’ai un abri de plumes d’oie

Mille traits de flèches duvetées d’esprit

Je vis près du fleuve Apparence

Au bout des marais du Non-dit

Mes frères croient que j’ai tendance

A me courber sous l’avanie.

Mon destin a livré aux autres

Des chants d’amour et de folie

Mon destin a donné aux autres

Des pistes de rêves et d’envie.

Je dors au milieu des hommes

Mille poèmes ancrés d’envies

J’ai un bâton de métaphores

Mille reflets de pacotilles

Je vis en pays de Jactance

Je suis l’Auguste, le maudit

Mes frères, admirez ma danse

Elles est pour vous, vous mes amis…

Tous mes amis, mes frères de Jactance

Tous mes cousins de Poésie…


19)

La pensée Unique.

La pensée unique en ayant assez

D’être en dehors de la bonté

Un soir a brisé ses entraves

Elle avait faim d’humanité

Avec ses livres prédigérées, avec ses jeux télévisés

Qui se lovaient au fond des yeux

On la vit s’habiller de rêves

Elle se paraît de mots nouveaux.

Quand on est futile

Tout paraît facile

Au cœur des cités

C’est ce que l’on croit

Mais le temps survient

On brise ses chaînes

On se donne la peine

D’être enfin sensible

Pour être vivant.

Pour les mauvais esprits

Pas de paillettes académie.

Pas de jours de soldes

Dans les rayons du prêt à penser,

Choisissez, choisissez…

De la prose à la poésie

Des pages blanches, aux toiles peintes

Vers ces destins où rien n’est dit

Personne n’a trouvé la gloire.

Mais tout à l’horizon de ton périple

Dans les zones légères de l’émotion

Tu y retrouves le seul, le vrai, l’humain …

Le cri de la vie qui palpite.

Quand on est futile

Tout paraît facile

Au milieu du gué

C’est ce que l’on veut

Mais le jour arrive

On franchit la rive

On se donne le temps

Pour être à l’écoute

Pour les pauvres esprits

Pas de gloire éphémère

Pas de fards, ni de masques

Dans les rayons du prêt à aimer

Déprimez, déprimez…

De ta maison ou de ta rue

Il est temps de briser la glace

Il est temps de traverser le miroir

Qu’un soleil ardent de sensations

Dessille tes yeux fermés aux couleurs de la vie

Qu’un chant barbare

Ouvre tes oreilles bouchées de mièvreries…

Pour les simples d’esprits,

Aragon et Prévert accourez !

Pablo et Vincent peignez !

Enfants, il est l’heure de se réveiller…

Lille, le 13 octobre 2004


20)

Les Petites Fées.

A ma petite fée…qui s’est envolée…

Dans un enclos de néon pâle, un soleil froid et permanent.

Les petites fées…

Elles sont assises par groupe de quatre, face à face…

Leurs sortilèges se sont enfuis, leurs baguettes se sont usées.

Par habitude ou par hasard, elles continuent de formuler

De courtes phrases, des mots hachés, des mots cassés.

Les jours et les heures passent.

Passent les années…

Dans une caverne de plastique, un cocon blanc et délavé.

Les petites fées…

Elles sont posées autour des tables, côte à côte…

Les tarots se sont tus, leur avenir est connu.

Par lassitude ou par ennui, elles continuent de s’envoler

De courtes valses, des petits pas, des pas perdus.

L’amour et les gens passent.

Passent les amis…


Dans une clairière de draps frais, une lumière blanche et usée

Les petites fées…

Elles sont soignées dans leurs alcôves, une à une…

Les Dames Blanches s’agitent, il y a beaucoup à faire.

Par ironie ou par plaisir, elles continuent de se fâcher.

De brèves colères, de petits cris, des cris de peur.

L’hiver et l’été passent.

Passent les enfants…


Dans un tunnel de soie douce, une clarté de satin chaud.

Les petites fées…

Elles se reposent dans leurs fauteuils, tête-à- tête…
Les souvenirs s’embrument, l’histoire s’évanouit.

Par amour ou par défi, elles continuent de s’obstiner.

De brèves images, de courts passages, des tranches de vie.

Hier et demain passent.

Passent les folies…


Dans la lumière et la chaleur, dans l’amour et la douceur.

Dormez bien…

Petites fées…

Vous l’avez bien mérité, vous avez bien travaillé…

A demain,

Petites fées…


21)

Sentinelle sur l’horizon.

Assoupi dans les herbes hautes.

Sur la dune, horizon fauve qui brille.

Perles de sable en sautoir, dessins ethniques.

Danse guerrière, brune, pourpre.

C’est le murmure des vents d’Est devant les murailles salées.

Pour être vivant ils chantent une légende.

Une longue nuit sur le désert vide.

Le guerrier Peul aux longues jambes crie sa colère

Bergers en marche dans les oueds sanglants.

Des forces brutes passent dans mon corps rompu.

Traces de lion sur la piste du Nord.

Avec des mots nouveaux, élévation d’un temple.

Priant debout, je garde la mémoire fiévreuse d’avant la pluie.

Elle tombe, je bois comme une fleur de poivre.

Les plus belles sensations se respirent en dansant,

Comme une cérémonie magique…

Les fers de lances s’aiguisent dans l’ombre, polis dans les corps ennemis

Ton esprit berger, est pur depuis le premier matin.

Mon cœur me parle. Le désert est en moi.

La silhouette de l’ancien ? Disparu.

La silice de la plaine est au bord de mes yeux.

Les reines du Soudan se parent comme des idoles dans le cirque sauvage.

Un ciel de légende abrite nos rêves de gloire.

Arrive, voici l’ombre de nos anciens guerriers.

Le soupir puissant de leurs derniers souffles.

Impatience du chant, claquements de langues.

Je brandis mon bâton comme un sceptre, le temps est mon troupeau.

Danse… Je jette un sort…

Un pied posé dans chaque monde, les mains tendues vers les étoiles mères.

Je suis le passant d’un monde dans la force de l’âge.

Mon sac de racines est plein de voyages magiques.

Pour être vivant, ils chantent une légende.

Des siècles passés, le souvenir me reste encore.

Accroupi dans les herbes hautes,

Je murmure aux anciens marcheurs.

Moments de vie sauvage.

Pour être vivants, ils chantent une légende.


Lille, le 08 juin 2004


22)

Signes.

Je trace les signes d’encre d’un pays de nuages.

Loin des chromos d’azur d’agence de voyages.

Là ou des hommes gais ont les yeux tristes.

Non pas éteints par des visions terribles …

Non. Les yeux chargés d’un passé de servitudes, de devoirs,

D’honneurs rendus à des seigneurs de guerre ou d’argent.

Ignorés, méprisés terriblement…

Je trace les signes d’encre d’un pays de lumière voilée.

Loin des soleils claquants de Méditerranée.

Là ou des hommes vrais on le goût des femmes chaudes et vivantes…

Elles ont les yeux paisibles et doux.

Elles ont tout connu, tout compris et tout pardonné …

Leurs cœurs malmenés et cent fois consolés donnent à leur démarche un port de reine.

Elles sont la véritable noblesse que l’on ne voit nulle part ailleurs.

Je trace les signes d’encre d’une vieille terre. Au Septentrion de l’Europe.

Un pays de rêveries à défaut d’être pays de rêves.

Là où les couchers de soleil sont les néons des cafés accueillants.

La fraîcheur du climat cède à la douceur des mots.

Des mots dits, chantés, déclamés ou susurrés.

Des mots d’amour, de colère ou d’espoir,

Des mots pour bâtir et y croire encore.

Je trace les signes d’encre d’un quartier, d’une rue ou d’un village, qu’importe…

Je ne sais rien faire d’autre que tracer les signes

Ecrire pour évacuer la haine, le chagrin et la mort.

Ecrire pour aimer, pour être humain, écrire pour tenter de comprendre les hommes.

D’autres hommes qui tentent de survivre malgré eux, s’accrochant de leurs ongles, désespérés.

Aux nuages gris d’un ciel capricieux, le ciel d’un pays si rude et si vivant.

J’écris pour vous aimer, toutes et tous, malgré nos différences,

Malgré nos peurs et nos actes maudits.

Malgré mes impatiences et mes angoisses d’homme fou.

Fou d’humanité, de paroles, de gestes vrais de regards forts. De vie.

Je trace les signes sur un écran, sur une feuille blanche.

Comme on trace à la craie sur le mur de l’usine, une révolte, un cri :

« Aimez-nous ! » nous l’avons mérité…

Regardez nous, regardez vous, nous sommes vivants.

Beaux, de la beauté sublime que donne le mouvement,

« Osez, osons ! »


Qu’importe si nous tombons, maintenant ou dans un an.

J’écris


23)

Le tour des remparts.

Le tour des remparts vers dix-sept heures. 

C’est une vieille cité pleine de pierres et d’Histoire…

C’est une vieille promenade pleine de rêves et d’espoirs…

Un banc vert et solitaire s’abrite sous les frondaisons foncées.

Un pigeon posé attend l’envol.

Reviendras-tu ?

Par une fin d’après-midi… 

Par un matin de novembre…

Dans deux jours ou jamais…


24)

Trésor d’opale.

Lumière de lune, mauve prairie, chevaux sauvages.

Le silence du vent te fait semblable au ciel
Ma mâchoire de loup cervier, de ses crocs
a fait frémir le cœur du tréfonds de la plaine

J’étais comme un enfant. Abandonné des hommes. 
La fureur me gorgeait de toute sa nuisance.
Pour oublier cela j’ai dû t’adorais comme un trésor d’opales
Et tu es le baume de mes blessures, tu es la fraîcheur de mon front.

Mais arrive l’instant de l’incarcération, et je te chéris. 
Coups de pieds et de triques, de matins glauques et gris
Viennent les frimas de l’absence, les barbelés du cœur.
Reverrais-je une nuit lumière de lune, mauve prairie ?

Liberté des hommes, je chanterai ta puissance.

Apporte-moi la force d’aimer mes ennemis.
Rivière fraîche où lentement mon corps puissant dérive 
Et ma prison s’effondre, pour toujours je fuis.

Lumière de lune, mauve prairie, chevaux sauvages.

Pour toujours je garde, mon trésor d’opales.


25)

Prose :

Sur les rivages de L’Ile.


On découvre une place en haut de la rue Nationale, une place de céramique et de faïence. Une portée de pavés plus loin vers la rue des débris St Etienne et face à la place du théâtre, on aperçoit une voûte d’ombre fraîche. L’endroit est très sombre. Ça vibre, ça transpire. On envisage même d’étendre les terrasses sur la chaussée luisante. Les badauds refoulés les plus assidus s’étalent dans les brasseries à thèmes, briques rouges de la Place du Général de Gaulle, juste dans le soleil couchant. Un cliché, une photographie d’office de tourisme précisément, bien que l’ambiance débridée offre tout le loisir d’imaginer d’autres perpectives. On fête la musique. Les vieux joueurs de blues partent en vrille, les rappeurs s’installent. La vieille Bourse ressemble à une pâtisserie démente : un pudding aux fruits posé sur un plateau en sucre, qui déborde d’un four, écrasant deux façades d’entremets. Les architectes de Flandre devaient être friands de saveurs exotiques.

C’est le soir où les Djembés enfonçaient les hauts murs de la cité fantasque que le destin du même nom a basculé sur la place enfiévrée. Une petite lueur toute chaude avec odeurs sucrées en nappes délicates, tentante en diable au centre du parvis. Stan qui flânait avec ses deux amis s’y laissa prendre. Il aimait les fêtes, Stan, non pas seulement parce qu’on y tentait la chance mais parce qu’on y parlait entre inconnus, et ses amis étaient assez vieux maintenant pour y trouver du plaisir. C’est donc avec plaisante humeur qu’ils s’arrêtèrent à la fontaine et dévisagèrent les nouvelles arrivantes ; une paire de jeunes filles avec trois jeunes garçons du même âge que les petites sœurs de Stan. Il se posa sur le rebord et contempla les visages de ces crépusculaires apparitions qui s’arrêtaient sur le parvis. La plus gracile leva une jambe devant la margelle et grimpa dessus tandis que sa compagne poussait les gamins devant elle sous les yeux étonnés des deux copains. La fontaine émit une succession de gargouillis et tremblota pendant quelques secondes avant de finalement s’emporter dans un jaillissement de fraîcheur. Les enfants s’approchèrent, la jeune fille voulut les retenir, mais Stan l’en dissuada :

-« Ne crains rien, il n’y a aucun danger ! »

-« Je préfère qu’ils restent à l’écart, ils sont petits ! »
L’autre adolescente amorça la conversation.
-« Vous êtes là depuis longtemps ? »
-« Non, Pas très longtemps ! A peine trois quarts d’heure. Mais nous avons déjà entendu huit groupes de Rap, trois guitaristes de rock, vu trois marchands de merguez et deux vendeurs de Kebab! Et vous, au menu, Mesdames ? »
Il sourit à sa voisine qui se tenait à l’extrémité dans l’ombre de la colonne.
-« Un quatuor à cordes, musique classique, quand même… »

Comme les perles d’eau s’étaient volatilisées dans la chaleur du soir et que la fontaine était retombée dans son mutisme minéral. Les petits s’empressèrent autour des jeunes filles.
-« Nadia, Nadia, on peut s’en aller ? »
-« Ecoutez, une fanfare s’installe, là-bas ! »
- Yasmine, tu es responsable de nous, on veut rentrer à la maison, papa ne veut pas que tu parles avec les garçons… »
-« Stan, je m’appelle Stan. »
-« Il est 20 h, on va rentrer maintenant, on avait dit juste un petit tour. »
Le groupe s’éloigna, une ombre bleue envahit la place.
*
C’est exactement au bord de la Deûle que Stan les a emmenés. Il se campe dans la longue allée des Marronniers et regarde la rivière. Il a les cheveux blonds et longs avec des yeux verts dans un visage très pâle. Il traverse la route entre deux voitures le premier puis tout le bois apparaît. Les autres se sont glissés, main dans la main, derrière lui. De l’autre côté de l’allée, ils découvrent une autre planète ; un parc de verdure, une multitude de branches sous lesquelles ils déambulent goûtant leur liberté lèvres closes pour ne pas être distraits par les bruits qui, déjà, cessent de les envahir.
Stan connaît toutes les venelles fraîches, tous les arbres ; les essences qui possèdent des odeurs épicées, les troncs rugueux sur lesquels on ne peut s’appuyer à cause du respect qui en émanent. C’est plein d’appréhension d’une aventure nouvelle qu’elles sont revenues voir leur ami au Bois de Boulogne. Nadia et Yasmine, qui a la taille plus fine, les cheveux plus sombres et les yeux plus allongés que sa cousine, se sont introduites dans l’univers des grands arbres.
Nadia descendit le talus et pris Yasmine par l’épaule.
-« Yasmine, c’est trop calme ici. »
Nadia était tout en nerfs, frisée avec des yeux d’antilope comme sa mère, Yasmine était longue, déliée. Elle avait des pieds de danseuse et la même moue boudeuse que les très jeunes enfants.
Elle haussa les épaules et les deux complices rirent de bon cœur :
-« Au secours, nous sommes perdus. »
Stan les regardait venir. Il contemplait le reflet d’or du soleil à travers les feuilles et le gardait précieusement dans sa jeune mémoire puis il sourit avec l’attitude pensive d’un peintre du dimanche, heureux de la belle lumière de sa première toile.
Les mercredis et samedis suivants, Stan passa régulièrement à l’épicerie Nasser, rue St Pierre, St Paul, près des halles, soit en revenant du marché s’il était avec ses amis, soit il y allait directement pour rejoindre Yasmine qui gardait la boutique. Nasser, son épouse, et les voisins buvaient le thé à la menthe, lui un café, puis les parents vaquaient à leurs occupations et les deux jeunes gens discutaient dans la pénombre du magasin et l’odeur des épices enivrante et sucrée. Nasser était venu en France très jeune, grâce à ses beaux-parents, il avait pu reprendre ce commerce abandonné. 
La boutique était ouverte tous les jours jusqu’à 21 h. C’était plus qu’une épicerie dans le quartier. C’était un morceau du vieux pays de soleil, la terre des anciens de l’autre côté de la Méditerranée.

Les petits riaient avec Stan. Après avoir fait leurs devoirs, ils sortaient jouer au foot sur la place parmi les platanes. Nasser était content pour sa fille. C’est vrai qu’il n’y avait pas toujours de quoi se réjouir de cette existence souvent difficile, faite de joies et de nostalgie, parfois tant de nostalgie…
Il y avait les jours de marché, trois fois la semaine, une activité débordante, des bruits, des odeurs, des milliers de couleurs. L’après-midi, après la sieste, les parties de dominos, chez Hassan, au café d’à côté, c’était bon de parler aux amis, du pays. Soudain, la Méditerranée traversait la France et venait border les bords de Lille, les 
rivages de l’île… Il y avait aussi, pendant les jours d’été, le festival de l’accordéon, des orchestres dans la rue, des gens qui dansaient jusque tard dans la nuit, le Raï rejoignait Le Musette dans un mélange chaleureux, Wazemmes devenait le creuset d’une humanité retrouvée, le bon visage de l’homme. Alors voilà, l’arrivée de Stan, le fait qu’il s’entendait avec Yasmine, malgré les regards noirs des anciens, c’était merveilleux ! Un pont très doux poussait entre deux continents, une digue généreuse et lumineuse rejetait à la mer l’intolérance et les vieux fantômes d’il y a cinquante ans. Et puis, Nasser était considéré au pays, il avait l’EPICERIE.


C’est un jeudi matin, les gamins dorment encore quand subitement un groupe vociférant pénètre dans le magasin. Comme la cuisine se tient dans le couloir près de l’arrière-boutique, Yasmine se précipite immédiatement. Nasser arrive tranquillement de la réserve. C’est Hassan, ses deux petites filles et un agent de police. Les petites sont effrayées, elles triturent leurs nattes d’un air inquiet. Hassan tente, vainement de rassurer les voisins. Il dit, très vite :

-« Nasser, mon ami, je suis désolé. Est-ce que Yasmine peut garder les filles. Je t’expliquerai, un problème avec mon frère. »

Nasser fait entrer les enfants dans la cuisine.

-« Et ta femme, Malika ? »

-« Elle est déjà partie au commissariat avec Karim, je dois y aller. Merci Nasser ! »

Ils laissent sortir la foule des voisins, le policier avec Hassan dans un silence pesant. Yasmine installe les petites à la table du petit-déjeuner puis leur sert du chocolat. Les enlaçant par les épaules, elle les embrasse toutes les deux très fort, elles reniflent, elles n’ont plus vraiment peur.

*

Il faisait la queue à la crémerie avec Bastien comme tous les jeudis, tous les deux encore à moitié endormis, Stan avec un immense parapluie bien qu’il ne pleuve plus. Mme Lisa, la crémière, narrait l’incident de derrière son comptoir. 
Elle a tout vu, tout entendu évidemment. Et son mari qui d’habitude trône derrière le comptoir est parti aux nouvelles, avec le boucher et les libraires du coin. C’était inconcevable ! Un tel scandale pour si peu de choses.
-«Une plaisanterie d’étudiants et pas méchante encore ! Au commissariat ! Bonjour, Stan ! Deux litres de lait ? »
-« Non un seul Mme Lisa, mes parents ne sont pas là. »
-« Vraiment ! Elle secoua la tête. Des grossiers, des inquisiteurs… des histoires pour trois fois rien, ni plus ni moins et l’année où Lille est capitale de la Culture, encore ! Voyez un peu ça ! »
Les clients l’écoutent sans comprendre, certains n’ont rien remarqué ce matin et ils tendent l’oreille, ils ont manqué l’ouverture alors la crémière recommence, inlassablement.
-« Ça a certainement démarré hier soir sur la place… »
Stan est sur le trottoir avec sa bouteille de lait à la main. Il consulte Bastien d’un regard et l’entraîne vers l’épicerie.
Dans le petit matin rose, Yasmine, sur le trottoir, comme une apparition fugace, un mirage urbain, attend des nouvelles.
-« Yasmine, qu’est-il arrivé, exactement ? »
-« Personne ici, ne sait véritablement… »
Bob, le vieil accordéoniste, assis à la terrasse de chez Nasser sourit.
-« Karim n’a rien fait de mal bien au contraire, il a changé simplement le cours du temps… Allez plutôt voir du côté des Bois Blancs. »
Abandonnant l’épicerie et les enfants à Bastien, Yasmine et Stan se mettent en route dans le méandre des rues encore froissées de la nuit, les odeurs fraîches d’arroseuses municipales, le murmure des vitres fermées, une radio, un pleur d’enfant, des rires dans un couloir… La vie.
Qu’est-ce qui a pu provoquer la colère des autorités ? Qu’a pu entreprendre Karim de si répréhensible ? Karim, le peintre, le poète, celui qui oublie d’aller au lycée parfois parce que la lumière est trop belle…
Yasmine et Stan traversent les quartiers populaires, jadis ouvriers, aujourd’hui, simplement communs avant de devenir anonymes… Les petites gens et les prolos n’ont pas disparu, ils se sont simplement fondus dans le paysage, ils ne font plus parler d’eux, ils traversent la ville comme des ombres, rapidement, la pauvreté est devenue fugace, un élément de plus de la cité, sans état d’âme…
En chemin, ils croisent une foule de gens : jeunes en bande, employés cravatés et « encostumés » en goguette, ménagères aux cabas chargées, policiers indécis et perplexes. Tout ce mouvement de population semble se diriger vers le même endroit, vers les rives de la Deûle, aux frontières de la ville, là où la cité laisse la place à la nature, les rues bourgeoises et commerçantes semblent alors se donner des aires de fausse campagne, comme un air de dimanche au bord de l’eau, une ginguette égarée au septentrion.
Des voitures se sont arrêtées sur les ponts provoquant des embouteillages.


Les Bois Blancs, le quartier des anciennes blanchisseries, ressemble à une chanson de Prévert, le canal paresseux, la gare d’eau où quelques vieilles péniches achèvent une vie d’aventures paisible… Du vert et du bleu parsemé de briques et de tuiles rouges, l’Angleterre et les Pays-Bas se donnent rendez-vous sur les bords de la Deûle…
Mêlés à la foule, Yasmine et Stan se font une place sur la passerelle de la piscine et là, ils découvrent, ils contemplent : le rêve de Karim, le cadeau de Karim…
Sur l’herbe des rives, des dizaines, des centaines de tapis de toutes les couleurs, une mosaïque de pourpre et d’or brun… Tous les anciens sont assis là, tranquilles, à boire le thé, à jouer aux dominos. Des enfants hilares courent un peu partout. Ici, on cuit un mouton, là on conte des vielles histoires de la vallée du Sous. Un groupe d’hommes danse au son des Derboukas et des Jimbis, le crépitement des Kerbalas accompagne le son tonique du Ghita.
Les gens sur les ponts accompagnent les danseurs en tapant des mains, les contreforts de l’Atlas se sont élevés dans le ciel de Flandre, on pourrait presque voir le genêt blanc donnait ses fleurs parfumés, les chênes verts de Tizi-n-Test envahissent le Bois de Boulogne tout proche…
La gorge de Stan se serre devant le spectacle. Les anciens contemplent l’horizon des cheminées, mais là, ils voient distinctement les pentes du Djebel Toubkal, dans le soleil brille l’argent des Cistes.
Yasmine rit aux éclats, les vieux murs de briques explosent au soleil, fenêtres sur jardin, l’amandier parfume l’air calme.
Sur la passerelle, un vent léger charrie un parfum de bonheur, les orties des environs se dissolvent dans l’espace, Autour des maisons les figues de barbarie remplacent les cultures potagères. Pour manger les fruits, il faut trancher les deux extrémités avec un bon couteau, puis fendre entièrement le fruit dans sa longueur pour le retourner. Toute autre tentative pour enlever les épines est vouée à la catastrophe, sous les épines, la douceur, comme l’existence.
Il était là, le forfait de Karim. On ne savait comment il avait fait, mais il avait réussi, réussi à donner du bonheur aux anciens, aux plus jeunes, à la ville entière…
La promenade dans la ville s’était transformée en randonnée dans l’Adrar M’qorn à la recherche des souvenirs, du bonheur de retrouver les images du vieux pays, ce jour là, la nostalgie ne serait plus de mise. 
Pour un temps, bref, sans doute, deux mondes s’étaient mêlés. Sur la passerelle, Yasmine et Stan se donnaient la main en souriant. Ils contemplaient le quartier populaire, les Bois Blancs se paraient de mille teintes, Sur les rivages de l’île, deux adolescents s’embrassaient, malgré la bêtise et la haine, ils étaient l’avenir…


Pascal DUFRENOY


Sa maxime
_________________
"la seule arme que je tolère, c'est le tire-bouchon"
Jean Carmet


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Mise à jour : le 28 décembre 2004