Auteur : ~Pascal Dufrenoy~

Poésies animées

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1 )

L’ancien combattant.


Vieux sage plus érudit que tous nos décideurs

Assis sur le seuil que préservent les anciennes

Malicieux et serein, parmi les hommes sombres

Tu adores palabrer dans la fumée âcre du tabac


Sur ton torse il ne reste qu’un lacis de lignes roses

Sur la place les enfants se regroupent en silence

Pour les éclats dorés de tes yeux survivants

Tes yeux qui les font voyager


Vieux sage plus aimant que toute un pensionnat

Les années s’accumulent sur ton toit ondulé

Et toujours à l’écoute de chants nouveaux

Les sourires des enfants te sont cent récompenses


Je conte ton histoire pour un matin de novembre

Un matin gris et froid dans les plaines d’Artois.

Un matin d’enfer où malgré ta sagesse

Le désespoir des hommes t’a montré son visage


Je raconte ces jours qui vous furent dérobés

Nul ne contera vos cris sauf vos chants sacrés

Vous serez oubliés parce que trop noir de peau

Dans la mémoire d’Afrique vous resterez marqués


Vieux sage plus fort que toutes les guerres

Assis sur ta natte que protègent tes filles

Patient et immobile, parmi les fils de l’avenir

Tu chantes ta mélopée sans fin


Toi le griot,

L’ancien tirailleur sénégalais…


2)

L’Antilope.

C’est un peu après que le soleil ne s’efface.

Tu es debout sur le seuil de ta case.

Le lac est à ta gauche, eaux troubles.

Rives de sel.

Il garde un peu de lumière farouche

Que la nuit avale par morceaux.

Tu vois se pencher sur l’opale

Cette antilope encore jeune et 

L’ombre qui l’enveloppe.

Elle tremble, tellement frêle,

Pattes fines,

Cornes tressées et fortes comme des cheveux de femme.

Elle t’a lancé un regard et ensuite,

Tu vois sa souplesse

Tandis qu’elle boit.

Touchant la surface de sa bouche.

Suspendue, aérienne, par un sortilège d’élégance,

De grâce,

Suspendue, en instance, par son charme envoûtant,

Celui d’être caressée, 

Flattée, enfin soumise.

Dernier rempart qu’elle sait fragile.

Inquiétude permanente de la proie,

Derrière la braise du regard.

Tu la vois s’éloigner,

Tu te demandes si tu dois rentrer,

Et ce que tu dois garder,

Pour la nuit, comme image à rêver.

Lille, le 8 juin 2004


3)

Au Monts des Cats, ce matin.

Les nuages roses du matin
Et le vent frais de temps à autre.
Sur le versant la vieille chapelle
Les feuilles sèches qui s’agitent 

Les murs roux du monastère
Majesté nichée dans la verdure

Par plaines et par coteaux
Je déambule au Mont des Cats, ce matin

L’estaminet bonhomme sur l’écran vert des arbres
Et un fondu d’horizon de beffrois
La houle des moulins chaleureux
Les détours d’une lisière qui flâne
Le chant grégorien planant
En plein soleil au bout de la plaine

Par plaines et par coteaux
Je déambule au Mont des Cats, ce matin

Les frémissements d’octobre
Vibrant des monts sans préambule
Une cloche de bronze sonne
Chantant les espoirs des hommes
L’infini du temps arrêté
Sur le doré des vallées belges

Par plaines et par coteaux
Je déambule au Mont des Cats, ce matin

Le bras du moine pétrissant
La pâte fine et odorante
Le travail millénaire
Qui produit le fromage blond
Et un peu de bière catholique parfois
Qui réjouit les panses flamandes

Par plaines et par coteaux

Je déambule au Mont des Cats, ce matin


Dans la sérénité retrouvée…

Ma prière de mécréant est exaucée…

Au Mont des Cats, ce matin

Je me suis apaisé…


4)

A Christian, qui est parti, si vite…

Ce soir, nostalgie, je prends le large

Sur le crépuscule flamboyant plane l'odeur des roses jaunes.

Comme une promesse heureuse, une caresse du plat de la main,

Une main de femme aimée, une femme de la rue, une vivante, douce et chaude...

La pierre du pas-de-porte est brûlante comme un dernier baiser...

Je suis assis, tranquille, calme et puissant, comme un vieux chef sioux, à l'aube de la bataille...

Ce soir, nostalgie, je prends le large

Je pense, je ne rêve pas, je pense...

Les années ont ajouté des racines à mon corps, je suis l'orme et l'olivier...

Malgré les bourrasques, le mauvais vent de la tristesse, les pluies acides des larmes qui ont raviné l'écorce de ma peau.

Ce soir, nostalgie, je prends le large

Vers l'horizon marin coule la boule rouge du vieux soleil endormi...

L'odeur des roses, l'odeur du sel, le sel qui tanne la peau et les rêves...

Je suis assis, je récupère... Comme le boxeur au milieu du combat...

J'aspire à plein poumon l'air doux comme du sirop, je me retrouve...

Comme le coureur de fond au kilomètre 32... Surtout, ne pas se retourner... Si tu te retournes, tu tombes...

Ce soir, nostalgie, je prends le large

Je sens de nouveau la vieille vibration intérieure, celle qui réchauffe...

La pompe remet en marche la vieille mécanique endormie...


J'ai des envies, des envies, d'exister...

> D'abord me fatiguer; comme on fatigue un cheval au travail, courir dans la campagne, longtemps jusqu'à la cassure, jusqu'à sentir les poumons souffler comme la forge, la sueur jaillir de partout, et l'immense fatigue arriver, celle que l'on ne peut contrôler...

Me fatiguer pour pouvoir dormir... Dormir du sommeil lourd et profond des épuisements définitifs... Dormir pour réparer, dormir pour me reconstruire...

Ce soir, nostalgie, je prends le large


Ensuite, récupérer mes capacités à m'émouvoir, à vibrer, à me passionner

J'ai envie de coups de coeur et de coups de gueules...

De conversations qui n'en finissent plus sur des sujets futiles et pourtant si essentiels...

J'ai envie d'écouter, de voir, de comprendre, de rire au spectacle de la vie et du monde, 

Ami fantaisiste qui me donne de la joie par tes pitreries qui me livrent souvent le reflet de moi-même, 

Ami poète qui me donne l'émotion poignante de la beauté d'un texte ou d'une idée, fragile comme le parfum des roses jaunes, les caresses d'une main de femme...

Ah! Rire encore de l'Auguste bafouillant....

Ah! Sentir rouler la perle d'une larme en écoutant chanter l'ami musicien...

Ce soir, nostalgie, je prends le large

J'ai envie de repas pris entre amis, du fumet de la cuisine de bistrot,

de nappes à carreaux rouges, de beaujolais et de philosophie de comptoirs....

J'ai envie de partager, un coucher de soleil ou une cigarette, un point de vue ou un fruit mur, du plaisir, de l'émotion.

J'ai envie de rechausser mes vieilles grolles fatiguées et de retourner faire un petit tour de piste sur la vieille boule bleue...

Ce soir, nostalgie, je prends le large

J'ai envie d'amour, de plein d'amour, de donner et de recevoir, d'inventer de nouvelles caresses, d'écrire un nouvel alphabet des corps dans l'espace douillet et capiteux d'une chambre...

J'ai envie de goûter à nouveau la saveur de la peau, d'embrasser les replis secrets et doux des mystérieux vallons de satin et de rose...

Ce soir, nostalgie, je prends le large

Quatre-vingt kilos de viande rouge qui palpitent...

Vivre par l'instinct, retrouver son animalité dans la jungle des villes...

Vibrer, sentir, goûter, aimer, courir, lécher, manger, boire, humer, laisser-aller, EXISTER ET VIVRE...

Dans la nuit de velours carmin plane l'odeur des roses jaunes.

Je ne rêve pas, je pense...

Même si j'aime à me souvenir, même si j'aime à retrouver de vieilles images...

Ce soir, nostalgie, je prends le large 

Debout, silhouette sombre, ombre chinoise sur l'horizon marin, je marche...

Je marche vers mon destin, je suis peut-être à mi-chemin, peut-être pas... Personne ne connaît la longueur du trajet...

Je respire encore l'air parfumé comme la peau d'une femme...

Je suis fort, j'ai de fortes jambes plantées dans le sol, mon regard porte au loin...

Nostalgie, 

Je prends le large.


5)

L’élagueur.


C’était l’élagueur d’arbres à mélancolie.

Des dizaines d’apprentis venaient se former avec lui dans de grandes

clairières et repartaient des années après instruits de sa science.

L’élagueur atypique leur avait tellement enseigné, tellement appris en

n’omettant rien qu’à l’issue de cette initiation, en existe-t-elle de plus

mystérieuse ? Les aspirants élagueurs explosèrent de rire et s’en allèrent, plus légers qu’auparavant.

L’élagueur partit alors accomplir sa besogne et ce n’était dans chaque cité qu’une

Succession de milliers d’abattages qui se couchaient ensemble devant

L’artisan qui défrichait encore plus intensément, peut-on extirper totalement la tristesse ?

On découvrait par le monde de grandes clairières de joie et de bonheur. 

Le fruit du labeur de centaines d’élagueurs d’arbres à mélancolie qui communiaient ensemble pour accroître le bonheur des hommes. 

Un bonheur si simple et si nécessaire :

Le rire…


6)

Le Départ.


PRELUDE

L’ombre bleutée de la montagne Ste Victoire s’allongeait sur les coteaux des vignes, c’était l’heure incertaine qui prélude à la nuit… Le temps propice au sommeil ou à l’amour, enfin le moment paisible advenait où les corps allongés exprimaient leurs envies ou leurs désirs, le repos ou l’étreinte.
Dans le jardin mauve qui sentait le jasmin et la clématite, une très vieille dame reposait, étendue sur un transat d’un autre âge, le fauteuil immaculé que l’on aurait pu rencontrer sur le pont d’un paquebot au temps glorieux des compagnies transatlantiques.
Le jeune homme s’approcha sans bruit, timidement, dans la nature endormie régnait un silence d’église de campagne.

PREMIER ACTE
- « Fous l’camp, la mort » -

Délivrée des tourments
La dame en blanc
A unie son destin
A celui du printemps
Camarde, tu peux ranger ta faux.

Foutue mort range ton vieil outil
Il ne tranchera jamais
Le fil d’or et de feu
De ses jours de gloire
Admire son sourire

Admire son passé
Se lire sur son front
Regarde sale voleuse
Ses rêves la maintenir
Tu peux ronger ton frein

Tu peux grincer des os
Avec ta sale gueule
Fouiller les souvenirs
Fouiller, fouiller encore
Non, tu n’apprendras rien

Non, tu ne prendras rien
Il n’y a rien à déchirer
Tu te fais des films
Sur la tristesse des vieux.


ACTE II
- « Le temps de la soie et du satin » -

Elle virevolte et se caresse
Dans les parfums de la tendresse
Des draps, des fleurs, des vins précieux 
Sans oripeaux, elle virevolte
Elle se faufile dans des bras fous
Abri précieux qui la rassure
Parfois elle crie et elle se perd
Dans la chaleur des souffles lourds

Elle connaît des langages rares
Qui fredonnent des chants miellés
Elle se love dans des regards
Elle est tellement avide d’amour

Insolemment, elle donne son corps
Elle ne veut pas le gaspiller
Elle ne se sert que d’une seule arme
Quelques baisers, sucrés salés

Eternellement dans son lit
Elle ravive toute sa flamme
Elle sait les désirs secrets
Entre l’ourlet de ses lèvres roses

Impudiquement elle se donne
Elle cherche quelque peau à aimer
Un corps chaud, des bouches tendres
Un amant pour se cacher

Elle s’insurge devant ces bigotes
Qui n’aiment que la charité
Elles, elles n’ont plus de corps
Elles n’ont qu’un cœur desséché

Elle se bat devant la morale
l’hypocrisie et la rancune
Et puis devant la misère
Devant d’autres culs mal assis

Elle désespère devant la jeunesse
Qui renie les sens de son âge
Elle se souvient de la tendresse
Et elle retourne à ses audaces

Elle se dit que tout est bon
Qu'elle s'est affranchie de la morale
Puis elle lisse du bout chaud de ses doigts
Une chaleur, une corps qui plie

ACTE III
- « Jamais, je ne ferai le bilan » -

Sur les routes fabuleuses de ma vie
J'ai aimé la peau des hommes
Des p'tits câlins au matin blême
Où je lançais mon premier cri
Avant de sentir le feu en moi
De l’autre côté du soleil

Sur les routes douces de ma vie
J'ai connu la nuit et le sommeil
Des lèvres qui m'ont dessiné je t'aime
Un soir où je ne pouvais dormir
Avant de sentir le chaud en moi
De l’autre côté du désir

Sur les routes humides de ma vie
J'ai léché des bouches impatientes
Mes mains pétrissaient douce argile
Je me suis rafraîchie sous des langues
Avant de chanter des chants de vie
Sur des musiques barbares

Sur les routes chaudes de ma vie
On m'a écouté et aimé
Un homme m’a confié son fardeau
En me chantant son destin
Et je lui dessinerai des étés
De l’autre côté du soleil

EPILOGUE

- Rien ne sera jamais terminé -

Habillé de nos incertitudes
On fait l’impasse de nos amours
On dit la vie, on dit le temps
Quand on aime qui est le plus fou
Et moi, je vis

Mais pourquoi t’écrire
Ce que tu sais déjà
Tous les mots de mon stylo
Ne suffiront pas
Croire en toi
Mais laisse-moi te murmurer

Etonnée par le jour qui tombe
De ton ombre, je porte la couleur
On donnait le temps, on donnait l’heure
Tu es dans le chant des oiseaux
Le vent sait cela…
Et moi je suis là

Mais pourquoi t’écrire
Noircir les pages de mon carnet
J’aimerai encore te donner l’heure
Croire en toi
Laisse-moi te murmurer

Mais pourquoi t’écrire
Ce que tu sais déjà
J’aimerai garder encore le chant des oiseaux
Croire en toi
Mais laisse-moi te murmurer
En amour on n’a jamais fini
On sait tout
On sait rien…

Jamais, je ne ferai de bilan….
Rien ne sera jamais terminé…

La nuit était maintenant complètement tombée sur le jardin, la montagne sur l’horizon se devinait, mauve sur rouge, sur bleu, sur rose… Merci monsieur Cézanne, merci…
La vieille dame respirait doucement, le jeune homme attendri la regardait sommeiller, il allait partir, il était temps, d’un revers de la main, il l’effleura comme l’on effleure une rose à jamais fleurie… Il savait, oui, il avait désormais la certitude qu’un tel bonheur ne pouvait pas disparaître, elle vivrait à jamais dans ce jardin provençal, dans l’odeur des olives et des romarins… Loin du bruit et de l’éclat des villes et des vacances programmées…
Il pouvait s’éloigner dans l’ombre de la montagne…


7)

Le mot que j'aime


A Elles…


Le mot que j’aime à dire

Est un mot de cinq lettres.

Pas le mot fatidique, l’injure universelle.

Non…

Le mot que j’aime à dire

Est un mot de cinq lettres.


Aux années englouties, aux années à venir.

Mes amis disparus, mes ennemis perdus.

Où sont tous les joyaux des jours de liberté ?

Un être disparaît, un être est apparu.

Rire est le remède, rire est la vertu.


Le mot que j’aime à lire

Est un mot de cinq lettres.

Pas le mot sacrilège, le terme défendu.

Non…
Le mot que j’aime à lire

Est un mot de cinq lettres.


A la vie si étrange et si belle à la fois.

Mes souvenirs si doux, mes illusions vécues.

Où vont toutes les images, tous les sons entendus ?

Un enfant se blottit, une femme s’endort.

Rêver est la réponse, rêver est le salut.


Le mot que j’aime à fuir

Est un mot de six lettres.

Pas le mot terrifiant, le mot définitif

Non…

Le mot que j’aime à fuir

Est un mot de six lettres.


Cessons d’être mesquin, petit, étroit d’esprit.

Osons le bonheur, de peur d’être perdu.

Laissons là les rancœurs, l’aigreur et l’ignorance.

Emergeons de la fange et de l’indifférence.

Rêvons à d’autres jours, d’autres mondes possibles.

Et mettons en avant, le vrai, le beau et le sensible.


Le mot que j’aime à vivre

Est un mot de six lettres

Pas le mot réducteur, le terme métallique.

Non…

Le mot que j’aime à vivre

Est un mot de six lettres.


Entourons nos amours de remparts de douceur.

Soulevons les vivants à hauteur de leurs rêves.

Prenons nos coups de cœur pour des coups de tonnerre.

Osons la vie, osons aimer.

Il est venu le temps de la liberté

Rire est la réponse, rêver est le salut.


Les mots que j’aime à vivre
Ont bien plus de dix lettres.

Ce sont vos noms mes sœurs,

Vos mots de vérité.

Vous toutes qui vivaient, existaient et aimaient.

Vous toutes sans qui le monde ne serait que fumée.


8) Prose

A S….

La Note Bleue


C’était l’instant magique et infiniment fragile où la ville retrouvait son souffle après les battements compulsifs du jour. Les rues prenaient la teinte étrange des fards multicolores dont se parent les clowns.



Dans le ciel de janvier, par-dessus les monuments, se dessinaient les volutes tourmentées des nuages de la nuit, prélude à l’apaisement des foules, les artères deviendraient bientôt le royaume des chats, des ivrognes, et des voleurs de bonheur.



Il se sentait bien dans cet univers décalé. La ville, enfin, lui appartenait en propre… Les néons blafards l’invitaient sans vergogne à partager l’antre chaud et fumant des bars de toutes nationalités, troquets d’habitués, sombres cafés d’Algérie sentant la cannelle, l’épice et la sueur, comptoirs américains où se cramponnaient de délicieux fantômes, des fées désenchantées et de jeunes étudiants… La ville était sa maison, son logis tentaculaire, son horizon familier.



Des picotements sensuels parcouraient sa peau, vieilles sensations oubliées et pourtant si proches… Il redécouvrait après tant d’années les visages, les mouvements, les couleurs et les odeurs. Petit à petit, il redevenait ce qu’il avait toujours été, finalement : un raconteur d’histoires, un pêcheur de destins, un témoin d’émotions à faire partager. L’immense nuit qui avait duré dix ans se terminait enfin, à l’heure étrange où le soir des hommes tombait délicatement sur les têtes soucieuses ou hilares, le catalogue immense et merveilleux de l’existence.


Il ne savait s’il devait pleurer ou rire… Nous ne nous souvenons plus du choc de notre naissance, traumatisme de l’arrachement d’un monde douillet. Nous sommes tous des voyageurs égarés à la recherche du paradis perdu : le ventre des femmes, chaud, souple et accueillant, une promesse de repos et un havre de paix. C’est le sentiment de cette perte qui rend les hommes enragés et la guerre pour eux devient une seconde nature… 



Ses pas résonnaient maintenant dans le calme du boulevard. A ses pieds détala un chat de gouttière efflanqué et farouche.



· Salut à toi, vieux frère…



Depuis combien de temps n’avait-il pas été ainsi, en 

paix avec lui-même ? Il aimait se rappeler en chemin les détails singuliers de cette rencontre inestimable. Il connaissait par cœur ce regard si perçant qui allait au-delà des apparences. Les yeux sombres perpétuellement à la recherche des brumes et des ombres de son âme. Cette femme si douce qui, à force de patience, l’avait ramené à la vie, lui avait rendu, à force de caresses, le courage d’écrire de nouveau, de redevenir humain… D’ouvrir enfin son âme torturée à la délicatesse des sentiments. Au velours de ses lèvres, il avait redécouvert la passion, la chaleur et l’attention.



Nichée dans une impasse, la maison était déjà une promesse de paix, elle était à l’image de son amie, féminine et sensuelle, les nuées s’écartaient par-dessus le toit. La lune, ce phare des poètes et des fous, semblait lui montrer le chemin…



Elle était campée dans le salon. Dans l’atmosphère s’exhalaient des senteurs d’ambre et de coriandre, les encens magiques semblaient s’être concertés dans la pénombre pour un rendez-vous barbare…



Lorsqu’elle entrouvrit les lèvres, doucement, sans heurts, comme l’on chante, le matin, au réveil, il sut tout ce qu’il lui devait…



Malgré l’hiver, malgré janvier, dans le jardin, un papillon diapré d’or et velouté de carmin prit son envol. Dans le silence de la nuit, un doux murmure s’éleva. Il comprit alors ce que voulaient dire les vieux musiciens de jazz…

Tous deux enlacés, écoutaient se moduler LA NOTE BLEUE…



Lille, le 4 janvier 2004

9)


Gorée


Eh toi ! Vieux caillou aux reflets de matin rose

Aux jardins intérieurs de basalte poli

Aux caves humides et sombres qui bâillonnaient les cris

Des fers chauffés au rouge en guise de sursis

Tes chaloupes font des rides au front de l’océan

Tes ruelles sont des pièges aux visiteurs surpris

Des clichés de vacances aux senteurs estivales

Tes chaloupes font des rides au front de l’océan


Wolof, mon frère, jeune planteur d’arachides

Qu’est devenue ta femme ?

As -tu pu la pleurer ? Comme un chant du Cap Vert…

Gorée, mon calvaire, la fin de ma vie.


Lébou, mon cousin, pêcheur de la presqu’île

Qu’est devenu ton fils ?

As-tu pu le revoir ? Comme un soleil de mai …

Gorée, ma misère, la fin de mes années.


Eh toi ! Vieille île bossue aux parfums de souffrance

Tes arcades ont la courbe des femmes immobiles

Des matins d’ambre clair du printemps africain

Du suc capiteux des ombres du Castel

Mon île aux vérandas aux senteurs atlantiques

Aux malheurs étouffés qui remontent aux mémoires

Mon île aux cachots sombres aux soupirs retenus

Mon île de « bois d’ébène », mon île de misère


Peul, mon ami, Foulas, Foulani, Foulbé ou Poulos

Qu’est devenue ta mère ?

As-tu pu l’embrasser ? Comme un rêve oublié…

Gorée, mon histoire, l’entaille de mon destin.


Toucouleur, fier gardien du fleuve Sénégal

Qu’est devenue ta fille ?

As-tu pu l’enterrer ? Comme tes prières d’espoir…

Gorée, mon chagrin, le bout de mon chemin.



Eh toi ! Vieille pierre d’océan aux espoirs renaissants

Aux écoles tranquilles dans la douceur du vent

Au musée de la mer en vitrines de rêves

Aux mouillages paisibles en prélude à l’enfer

A l’abri des murailles de l’océan sévère

A la saveur flétrie d’une époque maudite

Ma pierre au poids terrible aux lourdeurs de chaînes

Aux mouillages paisibles en prélude à l’enfer.


Et j’écris là moi j’écris sans rien penser

Dessinant la misère sur mon papier couché

Et j’oublie mon histoire et j’oublie mon passé

Dessinant le malheur sur un papier glacé.


Sèrère, cultives-tu toujours la terre de tes pères ?

Voyageur Saracolès, fondateur d’empire

Qu’est devenue ta vie ?

As-tu pu oublier ? Comme les chagrins d’enfants…

Gorée, ma référence, l’empreinte de mes pas.


Diola, l’indépendant, forestier de l’esprit

Bassari, montagnards, arpenteurs de pistes

Qu’est devenue ton âme ?

As-tu pu pardonner ? Comme les charitables…

Gorée, ma brûlure, le gel de mes veines.


Eh toi ! Vieille pierre trempée dans l’eau salée

Aux vagues atlantiques, aux marées d’amertume

Thierno Seydon Sall, le poète errant

Coura Sarr, la lingère de la poésie et des crevettes

Massamba Guèye, le conteur éternel

Tous ces témoins modernes de la nouvelle Afrique

Eh toi vieille île rose aux anneaux de métal

Moi, l’homme blanc, le français,

Si tu le peux, un jour,

Puisses-tu me pardonner…


10)

Hiver 2004.


Les toits penchaient leurs chapeaux de terre cuite
Par charité
Des fenêtres mi-closes en guise de salut
Brillaient glauques et jaunes de lumières de bazar.
Les vitrines étaient indifférentes. La pluie pérorait

Ainsi qu’une commère
A l’angle du boulevard, un gyrophare cruel
tournoyait, rigolard, insupportable ludion. 
Lui, allait, penché de l’inclinaison lente des saules abandonnés. 
Et de la rue, 
Et des venelles de la cité belle et indifférente 
Montaient les rires gras de mille ventres repus.


11)

Il est des moments clairs

Il est des moments clairs comme un sourire d’aimée

Des moments satinés comme une étoffe rare

Ils flambent chaleureux dans nos cœurs rapiécés

Comme un halo précieux anime le vieux phare

Leurs heures ont la lumière et les parfums du soir

La profondeur aussi et le goût du silence

Leurs plus petites secondes c’est le chant de l’espoir

Plus douce est leur étreinte que celle de l’enfance

Sur leurs traces légères plane encore une buée

Que leurs saveurs colorent d’un brin de fantaisie

Devant leur éclat pur pâlissent les nuées

Et vers l’horizon fauve s’abîme les vieilles nuits

Nous portons en nous-mêmes le temps des douces fêtes

Toutes nos joies défuntes viennent nous assaillir
Mais le goût de leurs lèvres sur nos bouches s’arrête
Nous sommes malgré nous pris par l’envie de rire

Quelque part, quelqu’un… Ici, ou bien ailleurs…
Dans nos yeux étonnés une lumière jaillit…

12)

L’idiot.

Un matin de novembre, lorsque de l’horizon,

Les canards se dessinent en volutes,

Dans un fourré du vallon,

Près d’un calvaire, d’une chapelle votive,

Riant avec la bise qui chante

Son grand corps décharné pesant et malhabile,

Pour déclamer les vers d’une chanson futile

L’idiot se dresse, conquérant.

Pour invoquer le ciel ingrat
Le Christ de pierre qui le regarde
Du haut du monument de pierre
Grimace un sourire sur sa face
Qui met en lui une panique
Et comme les canards dérivant
Battant des bras comme des ailes
L’idiot tournoie, impatient

Puis vient l’instant, où sous les nuées grises,
Son cri s’emballe et son corps tressaute
Où, dans sa pauvre tête éventée
L’instinct éclate en mille gouttes
Et chante son air insensé
Alors pauvre ami et tendre fou

Pour assouplir son calvaire
L’idiot danse, virevoltant

Mais déjà, et comme chaque jour,
- Que l’on soit semaine ou dimanche -
L’attente devient insupportable
Et même une torture à ses pieds
Et sous ses pas la terre se creuse
Alors, il se regardent,

Le christ et lui comme deux amis
Pour demain, oui… Pour demain

L’idiot attend, impatient,

Que le Christ lui parle…


13)

A Iman, Inès et Yannis

3 jacanas de macadam envolées vers un nouveau destin…

JACANAS

Des mains aux passants se balancent

Dans la torpeur de Salvador

Des boucles brunes tentent leur chance,

Sur le trottoir un môme dort.

Le sourire d’azur qu’on attend

Et qui souvent n’existe plus

Arrive le matin en rêvant

La chanson d’Amado s’est tue

Vous n’avez pas peur
Iemanjà vous guette

Vous êtes en attente
de baisers perdus, de baisers trouvés
Le dieu carnaval a de la suie sur les paupières
Olinda accueille l’Homme de minuit

Dans la rue s’enfuir

Voler et mourir
sont des moments de la journée.

Jacanas

Petites poules de macadam

Naître de l’autre côté de la ligne

Seuls avec vos envies

Muets, discrets, sans illusions

Issus du soleil du Sertao

C’est la faim qui vous rend rapides

Le baiser d’une mère, les baisers.

Dans l’indifférence générale.

Les rues, les vitrines

Les marchés. Les poubelles grillagées

La misère du quotidien

Si âpre et si lourde

Envolez-vous Jacanas

Galo da Madrugada

Le coq du petit matin chante

Iemanjà vous sourit

Elle sait, elle sait déjà…

Là-bas très loin, dans la brume du ciel

Arrive un oiseau blanc et bleu

Vous pouvez rire Jacanas et jacasser

Vous pouvez danser au son du frevo.

Petites poules de macadam

Arrivent Pai et Maé

Aujourd’hui, c’est jour de candoumblé

Tout le monde peut s’habiller de blanc

Vous pouvez rire Jacanas et jacasser

Dans votre nid, vous reposer.


14)

Novembre


Sur les branches du vieil orme un éclat d’or
La colline à l’horizon qui se découpe

Qui ondule

Jusqu’aux confins des lointaines futaies

Le soir qui regagne la vallée

Et cet instant fait ma joie

La lampe de la cour qui s’allume

L’odeur de terre fraîche du jardin assoupi

Comme cette saison des souvenirs

Comme un soupir dans le passage des jours.

Novembre…


15)

A monsieur Blaise,

L’or du poète.

Je souffle les braises

Je souffle les braises cendrées

Sur votre nom décliné

Par une plume que j’ai volé

Je souffle les mots consumés

Courant dans la boue

Le bras droit emporté par la fièvre animale

Sur la route filmée de la fin d’un monde

La reconquête des amputés

Le Tremblay en automne

Abritait ses étranges faunes

Des Picabia, Léger… marchaient bien tranquilles

Livrant au matin clair sa lumière adoucie

« Quand tu aimes il faut partir »

Le soleil du Brésil

Embrase le bois rouge comme braise

Des cendres d’or, des cendres d’or

Un visage rasé de Pierrot cramoisi

Je suis reparti

Tout avait changé

Aux portes de Big Sur, Miller vous écrivait

Boîte à rouler, cigarettes et papier…

Ecrire, jour et nuit pour chasser la peur

Années d’infortune…

Sous la lampe, le mégot fume

L’ami Doisneau vous capture sur la plaque

Sensible…

Ah ! le beau, le vrai et le sensible…


Ici et maintenant, maître du temps

Soufflez, soufflez le feu de la conquête

Ouvrez le lotissement du ciel

Bourlinguez, bourlinguez…

Vivre n’est pas un métier

Le soleil du Brésil

Embrase le bois rouge comme braise

Des cendres d’or, des cendres d’or

L’écriture libérée tombe du Transsibérien

Vous avez inscrit

Sur les pages rouges de nos vies

Une envie de partir

Vous avez déposé

Sur nos fronts fatigués

Le regard de l’oiseau aux sept couleurs

J’ignore son nom…

Pour ces cadeaux prodigieuses illusions

Pour ces moments précieux

Pâques à New York
Enclume solaire des jours d’avant

Le soleil du Brésil

Embrase le bois rouge comme braise
Des cendres d’or, des cendres d’or

Une lettre-océan à bord du paquebot

Si tout se termine

Si les braises se refroidissent

Ce brasier-là ne s’éteindra pas

Ce brasier-là restera

Vous êtes reparti

Un sourire amusé de marin aguerri

Sur le pont du bateau un mégot s’embrasait

Sur les rives fangeuses de nos vies assoupies

Je souffle les braises

Je souffle les braises cendrées

Sur votre nom décliné


16)

Ours Gris

Le matin te retrouve en son sein cotonneux

Et massif, griffu et puissant, tu te dresses

Vers l’horizon boisé et ses images nettes
Attendant ton départ.

Ours gris, mon frère,

À cet instant fragile du jour dans le soleil naissant
chargé de rouge sève
De la montage noire, seigneur en ton domaine

Sur le fauve de ton manteau de roi, un éclat de métal.
Et du calme du vallon les chants rauques de victoire
ont jailli de ta gorge aux échos des rochers.
Ce qui brûle en tes yeux dévore le paysage.
Tes sujets humbles et doux se prosternent
Et c’est penché vers toi, qu’ils rendent hommage.

Toi, implacable et puissant et magnifique totem,
de ce coin de forêt mêlant nuit et clarté
Patient, attentif, tu aspires à la paix.

Jusqu’à l’ultime instant. Partir avec panache.


17)

Patrie

D’être de cette contrée ne vous donna qu’une gloire éphémère.

Rouge… La saignée tremble sous le soleil.

Les événements chamboulent l’existence.

Vous vous brisez aux murs bétonnés !

Enfouissant ce qui cache la misère.

Chaque victime porte l’écrasement

Sous un nuage de gaz sans sursis.

Que cache la démesure de vos ambitions ?


Pascal Dufrenoy


Sa maxime
_________________
la seule arme que je tolère, c'est le tire-bouchon
Jean Carmet




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Mise à jour : le 28 décembre 2004