Auteur : ~Romane~

Poésie ou nouvelle animées

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L’heure exquise

« Fais-moi l’heure exquise ! »

C’était pour elle comme une gourmandise.
Elle s’asseyait par terre, contre la vieille souche brûlée par le temps, prenait soin de se caler le plus confortablement possible et s’immobilisait, attentive. Alors, il s’accroupissait et se recroquevillait comme un crustacé timide au fond de son coquillage. Il restait un instant sans bouger, le temps de peser le poids de la nuit. Lorsqu’il sentait sur lui la gravité de l’obscurité, il laissait s’échapper les frissonnements de l’aube, le tressaillement de l’aurore et déployait les premiers rayons du soleil dans le gémissement de la nuit vaincue.

Elle riait alors à gorge déployée en applaudissant et son émerveillement dépassait les limites de ce corps sans âge pour rejoindre l’enfance. « Fais-moi l’heure exquise ! »

Octobre 2003 Romane


IL FAUDRA

Il faudra des lunes en croissant, des lunes blanches, des lunes rousses, des lunes noires.
Il faudra des ciels décoiffés par le vent, des neiges douces et sauvages, des printemps fiers et des étés flottants.
Il faudra des chansons amères, des poésies tourmentées, des pèlerinages assoiffés sans autre source que celle de la mémoire blessée.
Il faudra des pluies insistantes et volontaires, des champs d’écume perdue, des silences entre les cris et des cris de bête apeurée.
Il faudra des rencontres à fleur de femmes déesses et rayonner avant de s’engluer dans leur imposture.
Il faudra des rêves infiniment inassouvis, des désirs mauves et des plaisirs lacérés par des jouissances de fortune.
Il faudra des draps mensongers, des rendez-vous manqués, des verres levés au néant, des promesses légères.
Il faudra tenter en vain de combler des vides sans fond, ne pas comprendre pourquoi les aiguilles continuent leur course et se sentir rien dans le vertige de l’immensité.
Il faudra des ruptures de non union, des projets de non avenir, des sourires tièdes, des mots sans poids, des ombres sans refuge.
Il faudra des voyages à oublier, des petits matins solitaires et des crépuscules hostiles.
Il faudra des histoires chaotiques.
Il faudra des paradis aux parfums de l’enfer et mille corps à effeuiller sans comprendre l’Amour.
Il faudra des obsessions ravageuses, des larmes comme des poignards, des flèches sans direction, des rires puérils dépourvus de leur sens.
Il faudra des cadeaux que j’on jettera à l’eau, des fanfares sans instrument, des suicides à mains nues, des regards qui se croisent sans se rencontrer, des conjugaisons sans accord, des escalades sans sommet, des noyades glaciales.
Il faudra revenir au point de départ, reconnaître l’absurdité des petites croyances.
Il faudra d’innombrables dernières cigarettes.
Il faudra des parfums traîtres, des accords troubles, des épaules à frêles escales, des jambes en trompe l’oeil, des moues capricieuses.
Il faudra vider des boîtes aux lettres sans lettre et des messageries sans message.
Il faudra faire l’Amour comme on se vide sans se remplir d’Amour.
Il faudra y croire sans y croire, faire semblant plus vrai que nature et comprendre que tout n’était que mirage.
Il faudra séduire des colombes en guerre, des fleurs sans cœur, des fausses blondes et des vraies rousses, toutes libres mais trop libres.
Il faudra remplir des heures creuses, tourner autour du temps pour éviter de n’être que sa proie.
Il faudra l’envers du décor, des lumières noires sans échancrures fluorescentes, des silences opaques, et des vœux calligraphiés pour des aveugles.
Il faudra des fuites lâches, des pensées refoulées et les mêmes défoulées.
Il faudra des ivresses feintes, des joues distraites des pages noircies, des ronces qui attendent, un avion qui part seul et moins zéro-zéro sur un compte en banque.
Il faudra des semblants, des faux, des tordues à l’air droit.
Il faudra avancer à l’aveuglette en se croyant en plein jour, saigner des caresses reçues, poser un masque sur le masque d’avant, trembler de peur et se cramponner à des balustrades de poussière.
Il faudra surprendre des secrets mal gardés, payer d’autres putes, se savoir trompé, se sentir sale et faible.
Il faudra s’allumer à des lampions morts, se frotter à des félines sans race, brûler mille fois le passé , s’amputer de l’essentiel et ne respirer qu’à demi.
Il faudra courber l’échine, reconquérir sa fierté, se perdre encore.
Il faudra réinventer des vies nouvelles et arpenter des chemins porte-malheur.
Il faudra écouter aux portes closes, guetter des trottoirs déserts, longer des indifférences et se sentir misérable.
Il faudra des barbes de plusieurs jours, des poids de rancune, des fantômes de chaque instant et des instants comme des éternités.
Il faudra perdre le nord au point d’oublier qu’il existe.
Il faudra des dîners aux chandelles avec des femmes sans flamme.
Il faudra tout donner jusqu’à son âme et croire un temps, un temps seulement, recevoir l’âme amante aimante.
Il faudra enfoncer ses mains dans des poches vides alors qu’on les croyait pleines.
Il faudra embrasser éperdument en pensant que c’est la première fois.
Il faudra faire du neuf avec du vieux et ne pas vieillir ensemble.
Il faudra faire des prouesses, faire ses preuves et recevoir en échange des gages sans promesse.
Il faudra se croire conquis, se croire fidèle et s’apercevoir qu’elle ne l’est pas.
Il faudra se croire complémentaire d’un féminin à la recherche d’un autre complément que soi.
Il faudra chercher à être l’utile de l’inutile, l’indispensable d’un superflu, le poète d’une sourde.
Il faudra se donner en cadeau et se réveiller dans une décharge à ordures.
Il faudra être le père de l’une, le fils de l’autre, l’objet de toutes.
Il faudra se sentir trahi dans le plus sacré de l’être, brûler vif avant de mourir de froid.
Il faudra tout tenter et tout investir, même ce que l’on a pas.
Il faudra refuser de comprendre.

Il faudra traverser de longs déserts hostiles entre mille forêts luxuriantes condamnées, avant d’apercevoir au loin l’île qui attend depuis la création qu’on la trouve enfin.
Il faudra le courage de transgresser les interdits.
Il faudra venir, faible, intimidé parce que redevenu neuf, amnésique de tout le reste qui n’aura plus d’importance, débarrassé des masques.
Il faudra venir dans la lumière éblouissante.
Alors Deux se reconnaîtront.

Elle dira sa poésie.
Jamais Elle ne finira ses phrases, parce que cela ne finira jamais.

« Amour, mien, toi, mon

Sens de mes sens, de mon essence, essentiel
Cœur du bouton de mon cœur Entière moitié de mon si rien sans toi,
Roi du royaume Je,
Prince de Dame Moi,
Ciel de mes yeux, Marin de mon Océane,
A tous les temps connus et inconnus,
Intime conviction,
Confondus »

Il ne faudra plus rien d’autre, si ce n’est Etre.

Romane - 03 Août 2004


Le baiser de minuit 

Les jours commencent et finissent dans une heure trouble de la nuit. L’heure où plus rien n’existe. Mi-nuit, mi-mort, mi-vie, dans un instant.
S’il est écrit quelque part dans le ciel l’étrangeté de minuit, je suis un ignorant de la lune, un illettré des étoiles.
Je ne saurai jamais, ma mie, si, caracolant au cœur de la poésie du temps, mon baiser s’en vint en avance, en retard ou à l’heure.
Cela me trouble.

Romane - Février 2004


Le Vieux qui lisait son journal, assis sur un banc 

Il pleuvait. Il pleuvait sur le square. 
Le ciel déversait son oubli sur le square. Le vieux, assis sur un banc, lisait son journal. 
Il pleuvait. 
C’était un banc sans couleur. Comme le ciel. 
Comme le ciel qui pleuvait son oubli. 
C’était un banc oublié dans le square. Le vieux l’avait trouvé par hasard. Et le vieux lisait son journal sur le banc sans couleur. 
Sur le vieux banc. 
Aussi vieux que le vieux qui lisait. 
Le ciel déversait son oubli sur le vieux. Le ciel pleuvait sur le banc. 
Le ciel pleurait sa blessure sur le journal. 
Le journal buvait les larmes du ciel. 
Et le vieux lisait le journal. 
Le vieux. 
Assis sur un banc sans couleur. 
Assis sous le ciel triste. 
Le vieux lisait et le journal dégoulinait. Le vieux aussi, dégoulinait sur son banc. Il dégoulinait des cheveux, du vieux pardessus. Il dégoulinait de son pantalon froid. Il dégoulinait de ses chaussures noyées. Le journal s’affaissait lentement. 
Le banc continuait à être un banc sans couleur. Le ciel continuait à pisser son chagrin. Et le vieux lisait des mots qu’il ne comprenait pas. 
Le vieux aux cheveux gris. 
A la moustache grise. 
Aux yeux gris. 
Sous un ciel sans couleur. 
Sur un banc oublié. Le vieux lisait son journal sur un banc. 
Tout comme ça. Et c’est tout. 

Romane -  Mai 2004



L’ombre errante


Je suis une ombre. Une ombre errante. Sans départ ni arrivée, je vais, sans but, sans attente, sans retour.
J’ai dû naître pourtant, une nuit. Une nuit d’il y a longtemps, quelque part nulle part. Je ne m’en souviens pas.

Comme tout est étrange ! Comme tout est confus ! Écoute le murmure furtif de l’errance ! Parfois, on dirait qu’elle approche la main pour tenter de s’agripper à quelque rugosité du temps.

Je ne m’en souviens pas. Je n’ai pas de mémoire. Je n’ai pas d’âge, ni de nom. Pas même une couleur. Je suis une ombre. Le reflet nocturne de tous ses contraires.

À quelle rugosité du temps, elle s’agrippe en vain. L’illusion se craquelle et s’enfuit sans un bruit. Alors, elle geint comme un courant d’air plaintif.

De tous ses contraires, je suis l’insaisissable sans nom.

Elle est l’âme.

Romane - Décembre 2003 


Masque

Même les masques ont un double visage.
Côté pile, masque blanc au regard sans fond. Il donne à voir son visage lunaire, silence d’entre les silences. Côté pile, côté lisse, le masque banc au regard sans fond se tait.
Côté face, masque noir dans l’ombre du dedans, au regard blessé par le faisceau d’ailleurs. Il ne donne rien à voir. Il cache sa misère contre la peau de l’infortune. Il pleure son inutilité en avalant ses larmes et ses cris étouffés se cognent vainement à l’entre-deux frontières.
Les masques ne font pas de bruit quand ils tombent. Ni plainte, ni fracas, ils tombent simplement, côté pile, côté face, blanc ou noir, ils tombent comme on s’envole.
C’est en dessous que tout se passe.
C’est en dessous que tout meurt ou que tout refleurit.
On l’appelle cœur, centre, âme, parce qu’on ne connaît pas d’autre nom. Il faudrait un nom unique et essentiel pour chaque en dessous en-dedans.
Là, s’entremêlent les soupirs, les grincements, les tremblements, l’espérance, les regrets et les heures longues. Là, se côtoient les blessures et les hommages, comme autant de cicatrices ineffaçables ou autant de brasiers qui ne s’éteignent pas. Là, s’étendent les déserts, se soulèvent les océans, se mesure la misère et se révèle la solitude.
En dessous, vit l’univers incomparable et unique de chaque être.
Qu’il est difficile d’atteindre ce que l’on est !
Les masques ne font pas de bruit, quand ils tombent. Ils s’échappent comme on s’envole. Rejoignent-ils, au pays des masques, ceux qui leur ressemblent, côté pile, côté face ?
L’en-dedans, tout nu dans la lumière, effarouché par sa liberté toute neuve, doit apprendre à vivre. Qu’il est difficile d’être !

Romane - Mai 2004



Obsession –

Tu es à moi, à moi, À MOI !
Je te connais par cœur. De toute ma peau, de tous mes sens, de tous mes espoirs, mes détresses, mes attentes, de tous mes rêves, de tous mes rires, chaque jour, chaque nuit, chaque heure, chaque minute, chaque seconde, quart, tiers, dixième, infinitésimale fraction de bout d’instant, que tu le veuilles ou non, partout, dessus, dessous, devant, derrière, dedans, avant, pendant et après, depuis toujours jusqu’à jamais, tu sais bien… nos promesses…
Tu es à moi, à moi, À MOI !
Elle n’est qu’un leurre, une luciole, qu’un souffle sans importance, vaguelette orpheline, midinette aguicheuse, creuse, sans mémoire, plateau d’un escabeau vermoulu, vorace et dépensière, superficielle, paillettes factices, décor en papier mâché, combustible éphémère, papillon d’une scène ratée, trompeuse, mirage, mirage, mirage, mirage…
Rage !
Le cœur a ses couteaux que la raison n’émousse pas. Vengeance en lames dentelées, cruelles, sans appel.
Appel…
Reviens, dis, reviens… Ne me laisse pas mourir dans la vengeance à flots battus ! Regarde-moi, tu me connais à peine… Je te donnerai… Je te dirai… Je te montrerai…
Putain ! Cette musique, comme un orage… ! "Tu es à moi, à moi, À MOI !"

Romane - Octobre 2003



"Ô Seins de soie" 

Ô seins de soie, rondeurs parfaites, 
Fruits défendus, pommes-reinettes, 
Appelle-bouche à étourdir, 
Votre dentelle a fait courir 
Mes doigts d’amant sur vos dunettes. 

Mes doigts fervents, bergeronnette, 
Ont transgressé la satinette 
Et leur ardeur vous fit rougir… 
Ô seins de soie ! 

Mes doigts gourmands firent cueillette 
Sur vos vallons, de deux noisettes. 
Ma bouche, en voulant s’enhardir, 
Offrit le festin des plaisirs 
D’un amant qui conte fleurettes 
Aux seins de soie. 

Romane - Juin 2004


Sans titre et sans nom 


Ils ont fredonné des mots de non-Amour, 
De ces mots chimériques aux caresses brumeuses… 
Dans l’éclatant sourire de leur iris empire, 
Les vagues océanes, comme houle d’invite. 

C’est vrai qu’ils étaient beaux et c’est vrai que j’ai cru, 
Blanche et neuve blafarde assassinée… 
De la rose à l’épine, à peine un bout de feuille, 
Mais la feuille n’est rien qu’une fange d’écume. 

Et j’ai fermé les yeux… 

Ils ont griffé ma peau de leurs ongles de maîtres 
Et caressé mon ventre de leurs doigts affamés, 
Ils ont mêlé leur souffle et le feu du plaisir 
A mon gémissement sous le désir défait… 

On eût dit un vaisseau voulant vaincre la mer, 
Un de ceux qui se sentent puissants 
Sous l’adroite manœuvre des voiles au vent, 
Fendant l’éternité pour gagner l’horizon. 

Ils ont creusé ma tombe en rythmant leur cantique 
Et de leur cou tendu vers le ciel septième, 
Ont saisi l’étoile acérée par l’épuisant labour 
D’un corps docile au regard déserteur. 

Et je ferme les yeux… 

J’ai vainement cherché les embruns d’un visage 
Sous l’attente éperdue froissée de désespoir, 
Guettant les mots d’Amour, comme pluie d’arc en ciel, 
Attentive au murmure câlin sur un lit de fougères. 

Sur mes poignets de lait, j’ai rêvé d’un baiser… 
Sur la nuque, un frisson à la hanche ondulante… 
Entre mes doigts, le sourd battement 
D’une écorce vivante à nulle autre pareille. 

Comme il est douloureux, le mystère 
Du visage inconnu aux lèvres de velours, 
Qui viendra effeuiller une à une chaque nuit, 
Pour défriper l’aurore au rivage inventé ! 

Et je ferme les yeux… 

Je veux rester aveugle aux fugaces élans, 
Sourde aux chants d’un charme baladin, 
Car il est un visage soyeux à l’âme non fardée, 
Dont le sombre regard rencontrera le mien. 

Je sais peut-être un lien, une étreinte de l’âme, 
Quelque part en demain, renaissant des détresses 
De ces liens invisibles qui se laissent toucher, 
Enlacer et ployer, sans pouvoir se ternir. 

De l’épine à la rose, à peine un bout de feuille. 
Mais la feuille n’est rien qu’une fange d’écume… 
Et l’écume revient sans cesse, nonchalante, 
Indifférente au temps ravageur d’espérance. 

Je fermerai les yeux…

Romane - Janvier 2003


Un désert ocre. 7 h 24.

Une pierre, deux pierres, sept pierres, trois cent quinze pierres, un mur, quatorze pierres, vingt huit pierres, sept cent vingt neuf pierres, cinq murs, un chemin, vingt trois murs, quatre vingt dix sept murs, sept rues, une place, quarante cinq tonnes de pierres, une cathédrale, quarante huit rues, deux millions de maisons, des avenues, des impasses, on ne compte plus, des villes, des autoroutes, des ponts, des chemins de fer, des voyageurs, des touristes, des fils électriques, des embouteillages, des antennes TV, des avions, des satellites, des rames de métro, des réveils qui sonnent, des radios qui crachotent, des chanteuses de music-hall, des boîtes de nuit, des travestis, des transsexuels, l’heure de pointe, le péage, klaxon, insultes, rires, rumeurs, cris, moteurs, turbines, exclamations… Bon, alors, ça vient ?
STOP ! Arrêt sur image. La terre tremble, quand tout se tait. Elle n’a plus l’habitude. Elle tremble, incrédule, prise de court, shootée à mort par ses souvenirs !
Musique.
Moi, je voudrais prendre du temps, son temps. Lentement, pleinement. Croquer dans une grappe de raisin, sentir mes dents déchirer la peau du grain, pénétrer dans sa chair douce et lisse, sentir sa liqueur sucrée couler dans ma bouche, me régler de la saveur ensoleillée du fruit de l’automne. Prendre le temps. Le temps de rien, le temps de tout, le temps qui tient au creux de la main, le temps qui s’allonge, s’étire, s’éternise sans couper le lien qui le tient au temps d’avant.
Donne moi ton sourire, enfant, pendant que tu es encore blond, encore naïf, la tête toute remplie d’histoires impossibles. 
Prends ma main, ami. Garde-la dans la tienne encore et encore. Laisse passer de l’une à l’autre les mots invisibles, la chaleur d’un autre sens.
Ah, Monsieur, faites-moi l’amour sans hâte, sans mémoire, sans règle du jeu.
La nuit finira bien par tomber derrière l’océan, l’aube nouvelle viendra forcément, des rides fleuriront les visages, les lierres mangeront les murs, il y aura plus tard.
Alors j’écris, à la lueur fragile d’une simple bougie. La feuille se noircit de mots. Chaque mot dégringole un mur, enlise une rue, fige un visage pressé. En bas, tout en bas de la feuille noircie, je signerai par un désert lavé. Un désert tranquille, sans sécheresse ni mort. Un désert d’attente du temps que je prendrai…


Romane - Mars 2004




Qui se souvient des hommes…

C’était au bout du bout du monde
En ces temps reculés presque oubliés
Entre deux océans à l’humeur coléreuse
Qu’un Dieu irritait de ses larmes gelées
Par-dessus le ciel triste et bas

C’était dans le dédale hostile et noir
Des îles inconnues aux noms sans pardon
Aux arbres pourrissants sur un linceul verdâtre
Entre fracas de glace et plaintes de vent froid
Sous la brume hypocrite d’un hiver infini

C’était sous l’orage aux grondements d’effroi
Aux brusques déchirures acérées métalliques
Entre l’écho de grêle le masque des fantômes
Ces maîtres des ténèbres aux menaces sournoises
Qui hurlaient à la mort sur les berges glissantes

C’était là…

Et cette poignée d’hommes dépeçant la baleine
Faisaient durer encore leur maigre survivance
Guettant de leur regard les sombres maléfices
Qu’une divinité se plaisait à prédire
De sa toute puissance en scellant leur destin

Dans la désolation des longues nuits
Laissant planer sur eux la sourde solitude
Ils veillaient patiemment les braises rougeoyantes
En réveillant les mots de leurs ancêtres
Pour prolonger l’immuable mémoire

Ils tenaient dans leur ventre la terreur
De laisser l’un d’entre eux déjà mort
Avec des coquillages en fragiles remparts
Sur une île maudite désormais interdite
Hantée par son esprit livré à l’inconnu

Ils savaient chercher le réconfort
Entre les cuisses chaudes et le ventre accueillant
De leurs femmes aux seins cernés de blanc
Si de ces gestes simples pouvait naître la vie
L’enfant repousserait peut-être leur agonie

Dieu les avait oubliés en terre abandonnée
Ils n’avaient pas un mot pour dire le bonheur
Ils s’épuisaient déjà mais ne le savaient pas
Pourtant de leur gorge nue jaillissait
Le Chant du Monde…

Septembre 2003
Romane

*****


Pluriels

C’est l’océan furieux d’un Amour pluriels.
D’un Amour pluriels avec un S.
C’est l’océan furieux d’un Amour pluriels, qui déploie les plis de sa robe gourmande.
Sa robe gourmande aux plis ourlés de pluriels, a mordu les touches blanches.
A mordu les touches blanches du piano.
Piano du musicien.
Lui, lui dans sa mémoire.
Naguère, il avait goûté, lui, le musicien, la saveur de l’unique, sans concessions, sans hésitation.
Il avait goûté.
C’est parce qu’il a goûté, qu’il est devenu musicien.
Blanches et noires, sur son piano.
Blanches et noires et entre elles, toutes les autres. Autant d’autres couleurs que ce que la musique peut inventer.
Couleurs plurielles. Musique sans commencement ni fin.
La robe gourmande de l’océan furieux d’un Amour pluriels, a mordu les blanches du piano.
Le musicien tenait sous ses doigts toutes les couleurs.
L’océan n’est plus gris-bleu-vert.
L’océan d’un Amour pluriels a volé les couleurs du musicien.
L’océan furieux d’un Amour pluriels a peint sa robe gourmande de toutes les couleurs que la musique peut inventer.
Il a laissé les noires.
Noires. Sous les doigts du musicien.
Les Amours plurielles portent des robes du soir aux longues traînes noires, derrière elles.
Sillage des mensonges, des erreurs, des questions, des suppliques, des cris et des silences. Sillage des détresses.
Un Amour pluriels, en raflant les couleurs d’un musicien, a pris le goût de l’amertume.
Amertume.
Un Amour pluriels, pluriels avec un S.
Un Amour pluriels n’a laissé que les noires, sous les doigts du pianiste.
Noires. Aussi noires qu’UN singulier.


Mai 2004
Romane

*****


L’instant et son éternité

Dans le grand pré sauvage, l’été mûrissait ses grappes de vapeur sous l’ardente lumière. 
Les mystérieuses perles d’araignées accrochées ça et là, ivres de souffle lent, tressaillaient à peine un peu. 
Par-dessous les immenses fougères dressées, fières, altières, la pénombre murmurante étalait ses mousses fragiles.
Plus loin, là bas encore, l’herbe aux senteurs croquantes attendait le froissement d’un baiser.

J’ai laissé la blancheur de ma peau égarer sa plage au creux de la verdure désordonnée
Tes doigts ouverts ont laissé glisser la rumeur de ma chevelure éparse
Morsures de tes yeux 
Paumes voleuses de mes consentements
J’ai fait de mon temple le tien
Et tu l’as contemplé de ta bouche gourmande
Sans hâte
Longtemps
Avant de l’emporter
Dans la houle d’un gémissement partagé

Divines caresses au tempo de l’été
Suave ravissement
Eblouissements éparpillés 

Juillet tient enlacés les amants

Romane

Septembre 2004
*****


Ultime Etoile

Digne dune au dos de Lune sur fond de ventre noir,
Blanches mitaines sur doigts d’éther aux ongles de poussière,
Cœur du conte que raconte mille fois l’année-lumière
Enluminure sur nos rêves de trêves amoureuses,
Eclat de larme sans vacarme, sans chagrin, sans refrain,
Suspendue à la peau d’en-haut imperturbable, insondable,
Inspiration du big,
Expiration du bang,
Souffle retenu de notre contemplation…

Romane
Septembre 2003

*****

Quand viendra la sagesse des tristes…

Quand il aura brûlé,
Le feu,
Mes colliers d’encre noire
Sur parchemin de cendres

Quand il aura sonné,
Le glas,
L’agonie de mes rêves
Aux couleurs inventées

Quand il aura perdu,
Le sage,
La source de mes rires
Intrépides et vivaces

Quand il aura fait taire,
Le grave,
Ma fantaisie joyeuse
Aux pétillants refrains,
Intimant d’un doigt blanc
L’ordre avant toute chose,

"Quand je serai ton ombre,
Utile et raisonnable,
Réprimant sans faux-pas
Tous ces plaisirs futiles,

Dis, m’aimeras-tu enfin ?"

Décembre 2003
Romane

*****


Les mots que je n’ose pas dire

Tumulte silencieux les barbelés de marbre
Ont lacéré l’ivresse éperdue de la tendre jeunesse
Je n’étais qu’un désert aux longues dunes blanches
Sous le soleil glacial au ciel d’un autre temps
Inutile

De l’alphabet d’Amour pas un mot pas un son
Que pouvais-je inventer allongée sur ma terre
Telle une vieille souche aux ombres lunaires
Et pourquoi murmurer si l’on ne sait pour qui
Mains nues

A ces aventuriers caressant le bois mort
Pour l’album souvenir des maîtresses d’antan
J’ai dit ce qu’ils voulaient j’ai fait ce qu’ils ont pris
Ils ont enseveli sous le ciel du couchant
Les mots

Mots…

Vous que ma bouche tait dans la désespérance

Vous dont je sais le fardeau amoureux
Capable en ruisselant de verdir un désert
Vous que plus rien n’arrête aujourd’hui de jaillir
Mots Mystère libérateurs des gestes primitifs

Mots flambeaux ravageurs de sagesse et d’oubli
Vous enserrez dans votre déraison
La houle indomptable et rebelle
D’une captive consentante

Mots pluie d’abondance sur le lac épuisant du silence
En effeuillant des poignets aux chevilles
Vous dévalez gravement dans mes veines
Les sillons d’un long fleuve sans nom

Faut-il vous dire ou bien vous taire


Mots sauvages à l’indicible étreinte
Vous qui avez mille ans une heure seulement
Mots rares exquis délicieux 
Je ne peux vous graver autrement
Que corps sur corps peau contre peau
Dans l’abandon qui ne délaisse pas mais retient
Entre deux âmes l’essentiel

Mots de la Création impudiques et brûlants
Vous qui faites l’Amour à celui que j’attends
Vous êtes de ceux qu’on ne dit qu’une fois

Esquif entre mes doigts protégé
Dis que feras-tu de ces mots inédits 

Je les retiens encore à peine un peu
Ces mots qui te sont destinés
Toi que j’aime entre mes doigts bercé

J’ai si peur de ne pas entendre les mêmes en retour…
Qu’ils sont les mots que je n’ose pas dire…

Romane - 2003

*****


La danse macabre

L’Amour se déshabilla
Sans se presser,
Sous le regard avide
Du désir impatient.

Au sol, tombèrent
Un à un
Le cœur d’une rose
Et le rose des joues,
Les tendres mots d’un poème,
Son ruban comme un lien,
La promesse, l’attente,
Les battements sous le sein,
L’aube du jour
Et même celle de la nuit,
Bref… tous ses atours.

Quand l’Amour fut nu,
Nu comme un ver
Sans Amour,
Nu, simplement,
Il ne resta plus
Qu’un squelette tout blanc.

Alors, le désir impatient,
Dans sa danse macabre
A l’étreinte perverse,
Pleura son désespoir
Comme on pleure ses morts.

Romane - Septembre 2001

*****


Raconte moi le bois d’une plage

Abandonnée sous le couchant
J’ai tenté, à tire d’eau,
D’effleurer le rayon vert…

C’est le promeneur d’un soir
Qui, de son iris, me l’a donné…

*****

Comme un radeau frotté au sel
Sous les doigts inlassables d’une vague,
Il implorait le ciel
Pour se confondre aux goélands.

… Et l’homme rêve de vol inassouvi
D’un corps de bois créa l’oiseau…

*****

Frêle esquif passe-marée
D’un océan d’éternité
Echoué sur la plage d’oubli,
Que serais-je si ta main amie
Ne m’avait pas cueilli ?

*****

De mon corps de bois mort
Sous l’aube salée,
Il me fallait vibrer encore
Entre tes doigts, serré
Comme un trésor…

*****

Fantôme de forêt disparue,
Ni algue, ni sable, ni embruns,
Ni fil de l’horizon là-bas,
Ni plume d’oiseau au ventre gris,
Ni craquement du bateau,
Ni grondement d’un océan puissant…

Juste une branche amoureuse
De l’artiste qui viendra la voler…

*****

Brisé, dénudé, vidé de sa substance,
Roulé, noyé, submergé, dans l’errance,
Orphelin de sa terre,
Voyageur de l’oubli,
En mourant sur la plage,
Il n’eut pas même un craquement.

Alors la main de Dieu
Le choisit…

*****

Attentif et docile
Entre crêtes et creux
J’attendais un signe
De la Dame Bleue
Et sa baguette de glycine
M’a donné
De Pinocchio… son nez !

*****

Sans rame ni boussole
Je trouverai la main
De l’homme solitaire.
Nous serons deux sur son chemin :
Lui et son bâton de Pèlerin.

Romane - Septembre 2003


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Pourquoi déjà

C’était une marelle, un gâteau, des bonbons,
L’orage terrifiant, le genou couronné,
Un fou rire pour rien, le lait du déjeuner,
Les images d’un livre, un coucou, des chardons…

C’était sur le papier des dessins au crayon,
La messe le dimanche et les souliers cirés,
Les noisettes sous l’arbre, un placard exploré,
Les trottoirs de Paris criant “ Chauds, les marrons ! ”…

C’était la coccinelle, une flaque, un gros rhume,
Une chanson, des craies, les cachettes, une plume,
Un secret, des trésors, l’interdit si tentant…

C’était sous le soleil, le maïs des vacances,
Et Maman, si câline, au sein réconfortant…
Pourquoi m’as-tu quittée, toi, douceur de l’enfance ?

Romane



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Mise à jour : le 28 décembre 2004